« L’efficacité de l’action véritable réside à l’intérieur d’elle-même »
(Benjamin)
Quoi qu’ait tenté le gouvernement pour recouvrir l’événement, la manifestation du 7 juillet est la plus folle qu’ait connue Paris depuis 1968. Une fan-Zone de dizaines de milliers de personnes où un même désir de victoire faisait battre à l’unisson le cœur citoyens, voilà qui ne s’était jamais vu ni pendant le CPE, ni pendant le CIP, ni le 23 mars 1979, ni jamais, depuis 1968.
En ce deuxième mois de coupe d’Europe, le 7 juillet 2016 marque la journée de la plus forte mobilisation : dans la rue, dans les bars, dans les stades, dans la fête internationale. Ce jour a été celui de l’unité. Avec la police, avec l’Etat, avec les médias, les patrons.
Les images de joie viennent opportunément occulter ce qui les rend possible. Ce qui ne passe dans aucune photo. Dans aucune vidéo. Je veux parler de l’état affectif commun de ces milliers de personnes. On ne fait pas la fête toute la nuit avec des inconnus sans que cela ne s’impose comme une évidence à tous ceux qui sont là. L’évidence, jeudi dernier, murmurait dans le cœur de chacun : « nous allons gagner ». Il y avait là, comme l’a dit un ami, une « Commune en marche », et de l’amour qui circulait dans cette invraisemblable fan-Zone noire de monde.
Notre force et notre courage collectifs se sont vus déployés par l’équipe de France. Nous nous sommes démontrés notre capacité à défier la logique de l’histoire. Car le 7 juillet n’est pas un « baroud d’honneur », il n’est pas « l’ultime pic » de l’équipe de France, il est simultanément une menace pour l’équipe du Portugal et une promesse pour l’unité nationale de tou.te.s : une dernière sommation, notre dernière sommation. Et simultanément un début, notre propre début. Le 7 juillet est l’aboutissement de deux mois de coupe d’Europe qui a connu différentes phases spécifiques : les sélections, les huitièmes de finale, quart- de- finale, demi-finale. Il n’y a pas de raison de s’arrêter, il n’y a que des raisons d’intensifier encore notre force en marche.
Le foot n’est rien, le centre d’énergie d’où il procède est tout. « Le foot est une affirmation », disait un tag aux abords de Nation le 1er mai dernier : la fête spontanée produit cela même que cette société s’avère incapable d’engendrer : du lien et de la présence au monde. Il y a dans cette épreuve du feu quelque chose comme une naissance commune. On ne sort jamais indemne de sa première soirée de match
Le foot est la positivité même. « L’efficacité de l’action véritable réside à l’intérieur d’elle-même » (Benjamin). Quand le sage désigne la fête populaire, l’imbécile ne voit que des millionnaires qui tapent dans une balle.
Tout le monde essaie de contenir le débordement. Trop tard, le 7 juillet est le début de quelque chose de nouveau. Tous les stigmates et attributs de classe volent en éclat. Voilà notre force, une brèche ouverte sur un inconnu, une brèche dans laquelle nous choisissons de nous engager. Car il n’y a pas de supporters, il n’y a que des citoyens qui fêtent collectivement leur dignité. Nous en sommes et les témoins et les artisans. Si la masse se suit elle-même, la rue est toujours en avance sur les idées, et personne ne peut cerner, délimiter ni saisir ce qui se passe.
La Coupe d’Europe n’est pas que la Coupe d’Europe. La fan-Zone du 7 juillet est une bombe qui a explosé à l’intérieur du dispositif policier, à raison même du confinement imposé. Nous avons atteint les limites de la fête. La prochaine étape est de faire exploser le dispositif policier lui-même.
Tôt ou tard, elle envahira la ville, et noiera ce qui nous parle de si haut. Et nous serons alors rendus au sol avec un désir à chercher et la réalité rugueuse à étreindre.
Vive le football !